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sábado, abril 28, 2007

Quando a politica e a religiao se degradam em busca de vantagens sectarias ou pessoais....

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Penser politique avec Mounier


Qu’est ce que le politique ? Quels sont les rapports entre spiritualité et politique ?


Par Jacques Le Goff

Qu’est ce que le politique ? Quels sont les rapports entre spiritualité et politique ? Dans son intervention, J Le Goff, juriste, professeur de droit en université, a présenté l’actualité d’une pensée de la distance - distance fondatrice entre le social, le politique et le spirituel - dans la-quelle l’écart entre est ce qui sépare et unit à la fois. Au moment où La vie Nouvelle est invitée à parler de l’engagement, il est bon de s’interroger à nouveau : où je me tiens quand je m’engage ? D’où je parle ? En tant que personne ? Collectif ? Chrétien ? Ces ordres de réalité ne se recoupent pas toujours.

Ce n’est pas la politique chez Mounier qui va retenir mon attention mais plutôt le politique. Ce qui veut dire que je m’intéresserai moins à ses prises de position sur tel ou tel sujet, face à tel ou tel événement qu’à la manière dont il perçoit le politique en tant que domaine particulier de l’agir humain.

Une pensée de la fusion du spirituel et du temporel

Ce thème a retenu mon attention du fait du caractère emblématique du parcours intellectuel de Mounier, très représentatif de l’expérience de plusieurs générations de catholiques qui n’accéderont à la réalité du politique qu’après une phase initiale de dénégation et d’escamotage. Mounier la qualifie lui-même de "phase doctrinaire ", assez brève puisqu’elle s’achève dès les années 1934-1935 au cours desquelles s’amorce la "phase d’engagement". Pour plus de détails sur cette évolution, cf M. Winock, Des intellectuels dans la cité (Seuil, 1998 ) et notre article La pensée de l’action chez Mounier (Bulletin des Amis de Mounier, octobre 1986). Elle se caractérise par un esprit de croisade visant à la conversion de la société en général et du politique en particulier : il y a alors du St Michel chez Mounier comme chez beaucoup d’autres. Conséquence : le politique en est réduit au statut d’exécuteur des hautes œuvres de l’esprit sur un mode de totale subordination, je dirai même d’absorption par le spirituel supposé étendre son empire à tous les ordres de réalité. Il n’est qu’une technique, "technique des moyens spirituels", et non un ordre de réalité propre. La leçon de Machinale n’a pas encore effleuré Mounier.

D’où l’allure moniste, totaliste d’une pensée placée sous le signe de l’Un dans une forme de positivisme spirituel qui me paraît porter la marque de deux systèmes d’influence rivaux bien que proches parents. D’un côté, l’intégralisme catholique et de l’autre, le marxisme. Dans les deux cas, on a affaire à un paradigme des modes de fonctionnement identiques, résistant à l’idée de pluralité des ordres de réalité. Chez Mounier, comme chez Péguy, la raison en est à rechercher dans la hantise de l’entropie, de la dégradation du spirituel, de la mystique en réalité triviales. Cette position " doctrinaire " va rapidement évoluer à partir de 1934-1935 sous la double pression des circonstances, à l’intérieur comme à l’extérieur, et des mises en garde d’auteurs comme Landsberg qui conduisent Mounier à réexaminer son analyse du politique exposée au double risque de démission et d’erreur. En sorte que l’intégralisme des premiers temps s’ouvre à la perspective de ce qu’il faut bien nommer la laïcité entendue dans son sens le plus large de distinction des ordres ouverte à la question, envisagée avec modestie et inquiétude, des médiations.

Parmi les textes les plus révélateurs de cette inflexion, je retiendrai la réponse à Semprun publiée en mai 1938. Mounier y remercie Semprun, l’ancien gouverneur de Santander et de Tolède qui a rejoint Esprit en 1935-1936 au tout début de la Guerre d’Espagne, de lui avoir ouvert les yeux sur l’importance du jugement proprement politique, dans une situation d’urgence, incompatible avec les raffinements de la " belle âme "." Vous nous avez éclairé les servitudes de l’action"

A l’Un compact succède l’entre-deux, une pensée de l’intervalle et de la juste distance s’inscrivant entre l’excès de distance et l’excès de proximité synonyme. Pour autant, les exigences spirituelles ne sont pas sacrifiées. Elles subissent un repositionnement qui conduira Mounier à penser le politique sur le mode de la tension, du conflit avec un spirituel, qui perd sa dimension missionnaire sans abandon de son privilège de pôle d’orientation de l’action et d’instance critique d’une praxis politique dont il n’admettra jamais la prétention à la clôture sur elle-même.

Une pensée de l’écart

Et j’en viens à ma seconde raison qui tient à la contribution, à mon sens décisive, de cette réflexion sur la juste distance fondatrice, à la pensée et sans doute à la théorie de la démocratie. On observe dans l’approche du politique chez Mounier, un net déplacement du phénoménologique à l’axiologique, du descriptif au normatif : la distance qui sépare le spirituel du politique n’est pas simplement une donnée relevant de l’observation sociologique, elle est une valeur en tant qu’elle constitue le socle fondateur et la garantie de la démocratie. La démocratie est une mise en forme de l’être ensemble par une organisation des distances de nature à prémunir la logique unificatrice de ses propres démons, au mieux le conformisme généralisé - on dirait aujourd’hui la " pensée unique" - au pire le totalitarisme. Ce faisant, il rejoint l’intuition des théoriciens classiques de la démocratie libérale à cette différence près cependant que là où ces derniers pensaient essentiellement technique (techniques de mise en forme de la souveraineté, de l’équilibre des pouvoirs...), lui, pense architectonique c’est-à-dire conditions primordiales, j’allais dire " transcendantales " au sens kantien, d’émergence et de viabilité d’un régime capable d’articuler au mieux la considération des grands ensembles et celle du particulier qu’il s’agisse des minorités ou de l’individu lui-même dans sa revendication de considération c’est-à-dire de dignité.

Je voudrais analyser la manière dont se déploie cette intuition à un triple niveau de réalité celui de la structure globale de la réalité sociétale, celui de l’action en général et de l’action sociale en particulier.

Le politique prend naissance dans l’entre-soi

S’agissant du premier niveau, l’essentiel de l’activité sociétale se structure dans la double polarité du politique et du prophétique reliés par la distance même qui les sépare. L’un ne peut se penser hors de la considération de l’autre. Le sens de l’existence partagée n’a pas son lieu du côté de l’un ou l’autre des deux pôles mais dans leur échange c’est-à-dire dans l’espace qui les sépare et les unit tout à la fois, dans la distance où leur dialogue, leur intercommunication a son site. Je ne peux pas m’empêcher de faire le rapprochement entre cette analyse et celle de penseurs ultérieurs du politique et de la démocratie. Et je songe en particulier à Hannah Arendt selon laquelle " la politique prend naissance dans l’espace qui est entre les hommes, donc dans quelque chose de fondamentalement extérieur à l’homme. Il n’existe donc pas une substance véritablement politique. La politique prend naissance dans l’espace intermédiaire et elle se constitue comme relation " (Qu’est ce que la politique ?, Seuil, 1993, p 33), à Claude Lefort et à sa pensée de l’indétermination du social et du politique dans l’écart de leur séparation.

Pour Mounier, le politique est un jeu d’interactions dont les résultats à peine énoncés sont aussitôt remis en discussion dans une dialectique sans fin. Mounier repousse la perspective marxiste d’un moment de résolution définitive et de réconciliation des contraires dans la finitude de l’histoire. En bon proudhonien elle lui paraît non seulement inenvisageable mais, comme à Merleau-Ponty, dangereuse en ce qu’elle renvoie à l’idée d’un moment de savoir absolu. Ricoeur parle quelque part de la " violence de l’unité ", opposant à la vérité de granit des dictatures et totalitarismes, le frémissement d’une conviction partagée indéfiniment ouverte au questionnement et à l’imprévu de l’événement. " La cité personnaliste est une société fragile ". Nulle vérité n’y est appropriable par quiconque. Mounier ne se borne pas à l’énoncer. Il met en place la structure fondatrice qui en garantit l’effectivité par la permanence du conflit irréductible, socle de la démocratie, condition la plus élémentaire de possibilité car, écrit-il, " le conflit, c’est la vie " (Anarchie et personnalisme, p 302)

Le spirituel, ressourcement du politique

Cette structure du réel social est dans le même temps une structure d’action. Et à cet égard, dans le prolongement des observations précédentes, je voudrais m’interroger sur le point suivant : si le politique et le spirituel se trouvent engagés dans ce dialogue tendu, est-ce à dire qu’il s’agirait de deux grandeurs équivalentes et par conséquent symétriques, non hiérarchisables ? Certains textes de Mounier pourraient le donner à penser en particulier lorsque, pour corriger sa position antérieure, il insiste avec vigueur sur l’autonomie du politique. Pourtant, il continuera jusqu’au bout à reconnaître un privilège particulier au spirituel en tant que lieu matriciel d’élaboration et de définition de l’horizon du politique, espace méta-politique de son ressourcement dans un corpus de principes et valeurs référentielles telles que la dignité, la liberté ou la justice. En sorte que se maintient entre eux un dénivelé, une dissymétrie mais dans un jeu synergique préservant le rôle et la responsabilité propre de chacun des plans. Je me demande si, dans le fond, spirituel et politique ne dessinent pas les contours d’une institution globale dans laquelle le spirituel occuperait la place de l’instituant et le politique celle de l’institué. Cette image n’est pas sans risque dans la mesure où elle pourrait figer les relations entre les deux plans. On a souvent eu recours à l’institution pour garantir la conformité, le conformisme par adéquation passive de l’institué à l’instituant sévèrement contrôlé par les garants de l’orthodoxie. Et l’on a du même coup perdu de vue la principale vertu de l’institution qui est de trouver en elle-même et dans son environnement, dans une disposition d’ouverture, des ressources de continuité. L’institution n’est rien d’autre que la mise en forme du conflit. Le spirituel n’apporte certainement pas de réponse au politique mais une disposition, un souci, une préoccupation, j’allais dire une forme de ce tact que Mounier évoque çà et là. Il oriente un questionnement et contribue à sa réactivation permanente sur un mode critique. De là résulte que la décision politique ne puisse s’assimiler à un quelconque exercice de déduction rationnelle. Elle relève du jugement politique c’est-à-dire d’un choix risqué s’efforçant de faire tenir ensemble des contraires. Mais si elle n’apporte pas de réponse, la référence au champ des valeurs permet au politique de trouver les fondements indispensables à la garantie de sa durée, à son accès au " temps de l’œuvre " comme dit Arendt, celui d’une relative permanence caractéristique des sociétés politiques.

Profondeur et spécificité du social

Enfin, troisième vertu de cette pensée de l’écart, de l’intervalle : elle permet de rendre compte de la réalité du social comme champ d’action, et ,au sein du social, de l’irréductible de la personne à quelque collectif que ce soit, en ouvrant du même coup à la question de leur mode de composition. Mounier fait ressortir avec force la signification profondément démocratique de ce double pluralisme. Le premier repose sur la représentation d’un social doté d’autonomie non seulement en tant qu’il est le lieu d’intérêts spécifiques mais aussi en tant qu’il s’institue sur la base d’un éthos propre dans lequel Mounier identifie l’une des grandes matrices du spirituel. Il n’est pas loin de penser, peut-être parfois avec un excès d’idéalisme, que le "peuple " demeure l’un des grands réservoirs de transformation et de régénération. " Notre philosophie ne veut pas renoncer aux mauvaises fréquentations : rien ne lui fera rompre son alliance avec les réprouvés " (Anarchie et personnalisme) tout simplement parce qu’ils portent, pour parler comme Walzer, un principe de justice spécifique, en attente de réalisation et de transcription juridique selon des voies propres. Dans le sillage de Proudhon, il y a là une vue d’une grande modernité qu’il n’a pas eu le temps d’élaborer et dont l’écho se retrouvera, plus tard, dans le courant de la Deuxième gauche, dans son discours de désengagement de l’État au profit d’une restauration du social dans son rôle d’acteur à travers, en particulier, la négociation collective. N’oublions pas qu’il avait eu le projetd’écrire une Histoire du mouvement ouvrier français où il n’aurait pas manqué de mettre en valeur son potentiel créateur d’une normativité. Bien sûr rétrospectivement, on peut tenir ce pronostic pour exagérément optimiste. Mais l’intuition d’une tension productive entre l’un et l’autre s’avérera, dans le fond, assez juste.Ce pluralisme, il le voit également à l’œuvre dans l’écart qui sépare et unit d’un même mouvement la personne et le, ou les, collectifs d’appartenance. Si, dans un premier temps, il penche pour une conception fusionnelle de tonalité communautariste sans toujours clairement distinguer les ordres de sociabilité, il en vient progressivement à une représentation institutionnelle faisant sa part au jeu des distances et du droit. Autrement dit, là encore, son souci constant est de penser les collectifs qui ne seraient pas oppressives pour les destins singuliers des hommes mais au contraire toniques et élevantes. Si je fais mention de cet aspect de sa pensée, c’est non seulement parce qu’il dénote une approche conséquente du statut de la personne mais aussi parce qu’il me paraît d’une extrême actualité. L’un des grands défis qu’il revient aux syndicats, partis et autres institutions sociales de relever n’est autre que l’invention d’un nouveau mode d’articulation des stratégies collectives et des modes d’engagement individuel. Les coordinations des années 1990 ont fait signe en ce sens et je crois savoir que le signal qu’elles ont émis a été perçu par les organisations traditionnelles. Repenser le mode de structuration et d’intervention sociale à l’heure de la " société des individus " et du "retour de l’acteur individuel" comme dit Touraine, il n’y a pas de tâche plus urgente.

Pensée de la distance : une pensée chrétienne

Si vous me le permettez, pour conclure ces remarques bien sommaires, je voudrais formuler une hypothèse qui me tient à cœur et qui est la suivante : je me demande si, dans le fond, l’investissement de sens sur les réalités de distance et de tension érigées en valeurs centrales ne trouvent pas, chez Mounier, leur ultime justification dans le mystère de la Trinité. Admettre, en effet, qu’il y a en Dieu lui-même de la distance, une distance irréductible, et ouvrir à la possibilité d’une tension entre les personnes divines, n’est-ce pas fonder l’impossible totalisation sur un mode fusionnel, moniste. Et je ne pense pas qu’une telle hypothèse soit en rien incompatible avec le principe de laïcité qui porte et de plus en plus fermement la pensée de Mounier. Bien au contraire, la laïcité peut y trouver son fondement. Et j’observe d’ailleurs que cette représentation trinitaire n’est pas propre au christianisme puisque, contrairement à une opinion reçue, le bouddhisme la revendique hautement, l’essentiel se jouant pour lui non aux pôles du yin et du yang mais dans l’espace médian qui les sépare et les unit. En sorte que le " juste milieu " n’est pas le compromis fade d’extrêmes édulcorés. " Le juste milieu est dans l’égale possibilité des extrêmes " ". Mounier aurait fait sienne cette assertion.

Mais ce rattachement à l’horizon trinitaire n’est, bien entendu, qu’une hypothèse... que je crois cependant sérieuse.

Intervention de J. Le Goff au Colloque : Emmanuel Mounier

Jacques Le Goff

Enseignant à la Faculté de droit de Brest

Prix E. Mounier 1977

Jacques Le Goff

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