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domingo, abril 15, 2007

O tema da laicidade levanta debates no Brasil. Vale a pena ler a discussao do tema na França






Dossier sur Qu'est-ce que la laïcité? (1): L. Fedi

L'utopie laïque
Sur le livre de Catherine Kintzler Qu'est-ce que la laïcité ? (Paris : Vrin, 2007)
par Laurent Fedi (1)
En ligne le 14 mars 2007

Je remercie Laurent Fedi de m'autoriser à reproduire cet article mis en ligne le 28 février 07 sur le site Parutions.com.
On trouvera également sur le blog (voir l'article suivant) les réflexions que son texte m'a inspirées. CK

Universitaire, professeur de philosophie, C. Kintzler a déjà consacré plusieurs publications à la laïcité et à Condorcet. Elle signe ici un livre «de maturité» sur un sujet très actuel, qu’on recommandera en particulier aux étudiants et aux professeurs intéressés par les conditions «philosophiques» de leur métier. Dans ce petit livre dense, mais fort accessible, elle montre que la laïcité est un concept philosophique qui a sa place parmi les concepts-clefs de la philosophie politique.

A la différence de la tolérance, qui postule que la loi ne doit pas s’occuper de tout, mais peut admettre dans le même temps la possibilité d’une religion d’Etat, la laïcité repose, elle, sur le choix de la non-croyance, la suspension de la foi, comme base de l’association politique, d’une association qui ne doit plus rien, du coup, à l’appartenance communautaire, ni même au lien social, mais repose sur le pouvoir critique et rationnel d’individus singuliers et libres. La «déduction» opérée dans la première partie du livre obéit à une démarche de type kantien. Tandis qu’une société tolérante se borne à harmoniser les différentes composantes majoritaires et minoritaires, «la laïcité raisonne au-delà de la prise en compte des forces existantes» (p.21). L’abstention absolue de la puissance publique en matière de croyance et l’exclusion des communautés de la formation de la loi sont les deux versants d’un Etat laïque où la laïcité est un espace a priori de possibilité, une condition quasi-transcendantale de la sphère publique. D’où son caractère de fiction, son manque de réalisme diraient ceux qui réclament une laïcité plus «ouverte», plus «tolérante»… C. Kintzler passe en revue différentes figures actuelles, comme celle de l’intégriste laïque (le «laïcard» souvent attaqué de nos jours) qui voudrait étendre le principe de réserve des fonctionnaires à l’ensemble de la société civile.

La question de la loi de 2004 interdisant le port des signes ostensibles à l’école publique est abordée. L’école publique n’est pas un service comme un autre, un espace de simple jouissance du droit, mais un lieu de formation du sujet, tel qu’il soit nécessaire de passer par certaines obligations ; car il y a des conditions non spontanées de constitution de la liberté. L’interdiction des manifestations religieuses en est une. Cette thèse est étayée par un argumentaire poussé sur les différentes formes du doute : fluctuation, relativisme ou esprit critique. La tolérance, dans sa forme vague, peut être la porte ouverte à n’importe quoi. Les humanités correspondent en revanche à une position ferme : celle d’une pensée qui se saisit elle-même comme condition de production de ses objets. L’identité du sujet prime sur l’identité collective. L’introduction (en 2002) de l’enseignement du fait religieux remet-elle en cause ce dispositif – cartésien, kantien, humaniste - d’écart ? C. Kintzler le pense parce qu’elle y voit un retour en force du lien comme nécessité anthropologique et politique, le signe inquiétant d’une acceptation non critique de l’universalité des appartenances comme données sociales incontournables. «A célébrer ainsi le fait religieux comme fait social total affectant les mentalités collectives, à accorder la primauté à l’existence des communautés, on invite et on accoutume chacun à s’y inscrire» (p.65).

Cette suspicion de la part de l’auteur nous paraît sans fondement et ressemble à un procès d’intention (l’absence de référence, y compris au rapport Debray, en est peut-être un indice). On pourrait aussi bien dire que le «fait religieux» correspond à une objectivation de la religion qui devient par ce biais un objet d’études, de savoir, de compétence rationnelle et critique. Dans la pratique, l’Education nationale n’a fait que remettre en circulation des repères historiques indispensables à une jeunesse dramatiquement coupée de toute compréhension de la culture et du monde contemporain et victime parfois de préjugés générateurs de violence. Par conséquent, si l’argument de C. Kintzler est recevable au plan spéculatif, il nous paraît peu crédible au plan concret de la pédagogie.

La deuxième partie est consacrée à des commentaires de textes (Locke et Condorcet). Dans une philosophie de la tolérance comme celle de Locke, l’Etat s’occupe des choses nécessaires à la sauvegarde des biens civils. Bayle fait un pas de plus, il insiste sur la compatibilité de l’athéisme avec la société civile, il pense que l’athée est plus sensible qu’un autre à l’autorité des lois. Reste que la laïcité n’est pas constituée chez ces philosophes comme un principe politique fondateur : c’est plutôt un résultat auquel on aboutit une fois qu’on a dressé la liste de ce que l’Etat doit tolérer. Il en va autrement avec Condorcet chez qui C. Kintzler décèle une authentique pensée de la laïcité (bien que le terme lui soit postérieur), une pensée qui rompt en effet avec le modèle du contrat : «la théorie politique de Condorcet est avant tout une théorie de la souveraineté individuelle» (p.107). L’individu n’a aucune raison de faire confiance, de croire sur parole : car seul le vrai a valeur d’autorité et il n’existe pas de critère absolu du vrai ; dans ces conditions l’Etat devra faire le maximum pour armer les citoyens contre l’erreur. Tel est au fond le rôle de l’école publique. Tel est aussi le rôle de la loi qui est là pour protéger l’instruction, pour écarter les pouvoirs, toujours suspects, autrement dit pour garantir l’indépendance de chacun. La croyance n’a plus cours : sur ce point C. Kintzler a bien raison de signaler, au passage, que Condorcet est allé plus loin que les Ferdinand Buisson et les Jules Barni, encore attachés à la foi (sous la forme par exemple d’une foi «laïque», «spiritualiste»).

Il y aurait là, pour d’autres chercheurs, un point d’histoire des idées à exploiter, en dirigeant le projecteur vers le spiritualisme mais aussi vers la religion positiviste de Comte et son «culte de l’Humanité» encore célèbre à l’époque du solidarisme de Léon Bourgeois et du socialisme de Jaurès. C. Kintzler tire du commentaire de Condorcet une conclusion sur le lien politique qui résume l’ensemble de son livre : ce lien qui unit les hommes sous la condition de leur singularité est une opération qui fait l’économie des origines et vaut par elle-même. A la lecture d’une analyse du concept menée dans toute sa radicalité, on se demande si la laïcité n’est pas tout simplement utopique.

(1) Laurent Fedi, ancien normalien, agrégé de philosophie et docteur de la Sorbonne, maître de conférences en philosophie, est l'auteur notamment de Fétichisme, philosophie, littérature (L'Harmattan, 2002), Le problème de la connaissance dans la philosophie de Charles Renouvier (L'Harmattan, 1998) et Comte (Les Belles Lettres, 2000).

Voir les autres articles du dossier :
- CK Réflexions sur "L'utopie laïque", réponse à L. Fedi
- La délicieuse défense du droit d'être comme ne sont pas les autres, par Edith Bottineau-Fuchs

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Réflexions sur l'article de L. Fedi "L'utopie laïque"
par Catherine Kintzler

en ligne le 14 mars 07
L'article de Laurent Fedi, en ligne sur le site Parutions.com (et également sur ce blog), n'est pas seulement un compte rendu, c'est aussi une analyse menée par un spécialiste de la philosophie française du XIXe siècle en même temps qu'une critique. Voici les réflexions et les réponses qu'il m'inspire.



1 - Rendre justice à la pensée anglaise et aux Lumières. La question de la forme du lien

Il n'a pas échappé au spécialiste de la philosophie française de la fin du XIXe siècle que j'ai pris mes distances avec les fondateurs historiques de la laïcité "à la française" - Jules Ferry, Jules Barni et Ferdinand Buisson. Cette prise de distance est philosophique et non historique. En effet ces derniers, s'ils ont installé l'effectivité juridique de la laïcité principalement à travers l'école et réussi l'apaisement historique dont nous bénéficions toujours, n'ont cependant pas pensé le concept jusqu'à sa racine. Ici intervient un paradoxe que je signale dès le début de l'ouvrage : cette racine, que nous devons dégager pour vivre l'actualité, a été pensée avant eux... D'où la remontée vers la pensée classique d'origine anglaise (Locke) et vers les Lumières tant précoces (Bayle) que tardives (Condorcet).
Contrairement à une idée répandue, ce n'est pas la séparation entre sphère publique et sphère privée qui caractérise la pensée laïque. Locke, penseur de la tolérance, en a une idée nette : la loi n'a pas à contraindre la croyance. La laïcité franchit un pas de plus : non seulement la loi n'a pas à contraindre la croyance, mais elle doit s'excepter elle-même (et avec elle l'ensemble de l'espace qui la produit et qui l'applique) de toute position relative à la croyance ou à l'incroyance comme doctrines. La laïcité n'appartient donc pas plus aux incroyants et aux athées qu'aux catholiques ou aux musulmans, c'est un minimalisme politique auquel chacun a intérêt.
Si l'on veut penser cette idée jusqu'au bout, il faut renoncer à penser le lien politique sur le modèle du lien religieux, et conclure que le fondement de l'association politique non seulement ne peut pas être lié à une foi ou à une adhésion particulière, mais qu'il ne peut se prévaloir de rien de ce qui pourrait ressembler à un acte de foi ou d'adhésion. En excluant croyances et incroyances comme contenus ou doctrines, l'Etat laïque s'appuie sur ce que j'ai appelé un "vide expérimental", sur l'incroyance comme forme. Ce qui exclut bien entendu toute religion civile mais plus radicalement toute conception "religieuse" du lien politique, toute présentation de l'association politique comme une forme religieuse - l'idée de "foi laïque" (F. Buisson) apparaît alors comme oxymorique.
Or Locke avait déjà posé la question : comment associer des gens qui récusent la notion même d'adhésion - ce que Kant aurait appelé "un peuple de démons" ? A ses yeux, c'est impossible parce le lien politique est de même nature que le lien religieux. C'est ce noeud que la laïcité défait. Bayle a eu le mérite de montrer que c'est possible en fait. Mais à ma connaissance seule la pensée de Condorcet a eu l'audace de mettre au principe de l'association politique l'idée d'un lien totalement distinct de toute forme religieuse. Mais alors, il fallait aussi avoir l'audace de récuser le modèle classique du contrat : cela est développé dans le livre et je me dispense ici d'entrer dans le détail.


2 - Fiction théorique et fiction utopique

Sans doute s'agit-il d'une configuration de "haute voltige" philosophique, à la fois abstraite et paradoxale. Lâchons les gros mots, puisque L. Fedi avance celui d'utopie, prenant ainsi le risque d'ouvrir les vannes du sarcasme anti-intello : c'est de la théorie ! c'est une construction "transcendantale" et "radicale" ! Mais oui, c'est de la théorie, mais oui c'est un transcendantal qui prétend produire les conditions de possibilité d'un concept à sa racine ! En revanche l'utopie est un roman et il y a loin de la fiction théorique à la fiction romanesque utopique. L'une trace une épure qui éclaire, l'autre peint un tableau détaillé qui envoûte. L'une peut se réaliser et sa réalisation libère, en revanche il vaut mieux que l'autre ne se réalise jamais...
Le résultat le plus visible de cette configuration théorique est on ne peut plus concret, mesurable à sa puissance juridique. Elle creuse en effet le vide sur lequel pourra se déployer le spectre en droit infini de toute liberté de pensée. "Nous allons faire la fiction d'une incroyance formelle absolue qui aurait la prétention de se libérer de toute liaison et c'est sur ce vide initial que nous construirons l'association politique" : cela revient à dire que nous assurons par principe à chacun qu'il pourra être, pourvu qu'il respecte les lois communes, comme ne sont pas les autres. C'est l'assurance que ma singularité non seulement est possible, mais qu'elle est un principe politique fondamental. L'association tire sa force de cette assurance.

Alors on me dira, posant la question de l'utopie au sens conceptuel et conformément à son étymologie - celle du "nulle part" - : où cela se trouve-t-il? Le moindre bureau de vote où chacun se déplace en effectuant le trajet de "l'homme" au "citoyen", la moindre assemblée municipale discutant, s'efforçant de s'aveugler aux lobbies et aux intérêts particuliers, en témoignent. Et qu'a fait d'autre, de manière exemplaire, la "Commission Stasi" ?
Mais prenons un exemple plus concret, plus fréquent et plus complet. La moindre salle de classe, pourvu qu'elle soit à l'abri d'une indiscrète extériorité, est une réalisation vivante, concrète, de cette aporie du transcendantal et de l'empirique dont on nous fait ironiquement un épouvantail. Espace fondateur de la liberté de chaque sujet, où chaque enfant est d'abord invité au dépouillement, à se désemparer de ce qui l'enrichit faussement, de ce qui l'étouffe, de ce qui l'appauvrit, et à s'installer avec les autres dans ce moment de vide pour s'approprier des contenus effectifs qui réalisent sa liberté. Il n'y a rien de plus abstrait et de plus concret à la fois qu'un enfant en train de comprendre une addition, en train de dépasser l'idiome pour découvrir la langue avec sa grammaire et sa littérature. Et il fait cela tout seul, lui-même ! J'irai plus loin : de ces contenus les religions font partie de plein droit, mais il faut qu'elles y soient présentes et présentées comme des pensées et non comme des actes de foi incontournables ; cela se fait tous les jours, mais imposer au professeur d'enseigner les idées religieuses comme des "faits" auxquels personne ne saurait échapper, c'est déjà avoir réintroduit la forme de la foi comme un dogme anthropologique.

C. Kintzler, 2007
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La délicieuse défense du « droit d'être comme ne sont pas les autres »
Réflexions sur le livre de Catherine Kintzler Qu’est-ce que la laïcité ?
par Edith Bottineau-Fuchs (1)

En ligne le 20 mars 07

Voilà un essai joyeusement insolent, et dépourvu de toute inutile raillerie polémique.
Il y a quelque chance que le lecteur ait le sentiment, avant la page soixante-huit, fin de la première partie, d’avoir été entraîné à une vitesse vertigineuse. Pourtant, avec une clarté entière, Catherine Kintzler avance pas à pas, sans rien enjamber. Cette maîtrise-là est le comble de la vraie culture et de la véritable conviction : c’est qu’il s’agit, de l’aveu même de l’auteur, d’un « parcours philosophique complet », à faire tenir d’abord en quelque soixante pages, pour le « déplier » ensuite, sous les espèces du choix des extraits dont les commentaires nourris reprennent et parachèvent l’argumentation de la première partie.
C’est à cette dernière que nous nous consacrons.


Quatre parcours

S’il est, pour celui qui écrit, plus long de « faire court » plutôt que long, c’est évidemment l’inverse qui est vrai pour le lecteur. Que ce dernier ne s’inquiète pas ! Quoi qu’il fasse, pour peu qu’il prenne le temps de se laisser guider, il sortira de là, à coup sûr, éclairé, et donc tonifié.
Osons un banal conseil : il paraît judicieux de lire deux fois l’Introduction - certes, en commençant ; mais surtout en y revenant après avoir tout lu. Osons en outre un rappel : l’écrit ne peut pas ne pas paraître avancer linéairement. Pourtant, il semble requis de chercher par quelles couches, comme on parle de sédimentations géologiques, il s’édifie. Suggérons-en au moins quatre ou, si on préfère, un quadruple parcours. L’un débute, « tambour battant », par la fondation philosophique de la laïcité (pp. 8 à 36) ; l’autre la reprend sur le terrain cette fois des réalités phénoménales (36 à 68) ; en outre, à l’intérieur de ce double travail, les pierres d’attente sont posées de sorte que le lieu d’insertion des références à Locke, Bayle, Rousseau, Condorcet est ménagé. Enfin, tout est ramassé et repris autrement par les commentaires des extraits choisis : ceux-ci, loin de venir illustrer ou conforter un propos, constituent un moment de l’argumentation.
Il n’est pas question ici de chercher à répéter cette argumentation : aucune intrigue policière ne peut, croyons-nous, susciter autant de curiosité que l’argumentation philosophique et les moments où le lecteur n’anticipe nullement la façon dont l’auteur va « s’en sortir »..

Prenons le parti du désordre pour garder intact l’étonnement du lecteur, et soulignons d’abord ce qui, dans la façon dont C.K. attrape la laïcité, nous a paru profondément « inactuel » et novateur, tant en ce qui touche au propos défendu qu’à la démarche adoptée. Dès lors que nous n’exposons pas l’argumentation, nous nous autorisons à séparer arbitrairement propos et méthode.


De la tolérance à l'hypothèse de la déliaison fondatrice

Quant au propos donc : la partie la plus visible porte sur la profonde différence de nature qui sépare la tolérance de la laïcité - ce qui explique la présence conjointe de Locke et de Condorcet, bien entendu. Un pas de plus : seule la tolérance peut être « élargie » aux incroyants (d’où Bayle) tandis que « laïcité élargie » serait un carré circulaire.
Si d’abord les trois - tolérance, tolérance élargie, laïcité - paraissent constituer des options possibles, en juxtaposition sur les étagères des goûts et des couleurs subjectifs ou objectifs, C.K. va effectuer un premier retournement pour montrer qu’en vérité, seule la laïcité vaut au titre de condition de possibilité de la cohabitation des libertés, c’est-à-dire de la garantie et de la protection, pour chacun, de sa « liberté de conscience » : cette coexistence pacifique requiert l’abstention de la puissance publique, à l’endroit de toute foi comme de toute croyance.
Ce premier renversement audacieux va aussitôt s’élever à sa propre condition : le suspens à l’égard de toute foi signifie sans conteste le suspens à l’égard de tout lien d’appartenance. Ce « vide », ainsi que C.K. le nomme par analogie avec le tube de Newton, va devenir l’ultime centre fondateur du champ politique. L’auteur va ensuite « déplier » cette audace, et aussi montrer que, si ces formulations sont siennes, l’idée de la « déliaison sociale » comme condition du lien politique n’est cependant pas si rare - ce qui nous vaut, en particulier, un détour fort original par Rousseau (sur lequel nous reviendrons tout à l’heure).
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Une double démarche, régressive et déductive

Disons maintenant un mot de la démarche. La prudence d’un ordre d’exposition pas à pas ne doit nullement faire croire à une avancée linéaire progressive : l’ordre de la rédaction n’a jamais coïncidé avec l’ordre des pensées.
Il nous semble pouvoir distinguer d’un premier moment régressif une « redescente », elle-même assortie, sans difficultés majeures, de plusieurs corollaires.
La régression remonte au pôle de renvoi « transcendantal » : le « vide » qui vient d’être évoqué est saisi dans sa coïncidence avec la fiction juridique du sujet de droit. Filons l’analogie : vu le vide de toute détermination empirique, l’absolue abstraction des purs sujets-atomes, va-t-il falloir inventer un clinamen apte à permettre leur rencontre comme citoyens politiques, ou bien aucune intersection des trajectoires des « atomes » n’est-elle requise ? Quoi qu’il en soit, c’est la liberté du sujet pur qui permet de redescendre vers l’instruction et la constitution des sujets par l’école , dans leur possible et singulière autonomie. C.K. redescend donc de ce pôle du « vide » auquel renvoie, transcendantalement, la vraie coexistence des libertés extérieures ; de là se déduit, systématiquement cette fois, ce par quoi l’ouvrage commence, en juxtaposant dans leurs écarts tolérance-tolérance élargie-laïcité. Le tableau de la page 28, loin de n’avoir qu’une vertu pédagogique de récapitulation, vaut pour contre-épreuve du bien fondé de ce qui a été avancé. La capacité d’embrasser le tout des situations historiquement envisageables signe la pertinence des vues défendues en témoignant qu’une pensée véritable se reconnaît à sa concrétude. Il n’est dès lors pas très étonnant de voir comment la rationalité de la double démarche régressive et déductive conduit, comme par la main, à trancher clairement quantité d’objets de débats indéfiniment ressassés depuis plusieurs années : on en finit enfin avec la situation dans laquelle l’un « trait le bouc tandis que l’autre tient la passoire ».


Dépassement des vieux débats

Nous ne donnerons que quelques exemples : ainsi en est-il du refrain omniprésent de l’appel aux « valeurs ». A l’émouvante indétermination concernant la nature précise des dites « valeurs », C.K. oppose la nécessité pour chacun, tout particulièrement pour chaque élève et chaque maître, du travail de conquête de soi. Ainsi aussi du prétendu « intégrisme laïque », baptisé religion pour mieux l’évincer dans le champ de la relativité subjective et objective des options et opinions. Si la récusation du « retour aux valeurs » engage tout le propos que C.K. élabore en ce qui concerne l’instruction et la culture de soi, celle de l’intégrisme laïque engage, quant à elle, l’argumentation destinée à montrer l’absolue incompatibilité de la laïcité avec l’idée d’une religion civile - y compris bien sûr, l’obligation civile de l’athéisme. Le centre de l’affaire, nous l’avons vu, réside dans la disjonction du lien social et du lien politique ; mieux : dans la nécessité de la déliaison, du « déracinement » comme condition de l’institution d’un ordre politique. C’est là que le « point de virulence » est atteint. C’est que, si on suit cette disjonction - et on ne peut pas ne pas la suivre - alors s’effondre la majorité des certitudes omniprésentes, non seulement dans le discours public mais aussi dans les productions savantes contemporaines. Entre les identités, c’est à dire les différences, les racines, les traditions et autres appartenances, on ne sait plus si un homme est fourmi, arbre sans jambes vissé à sa terre nourricière ou membre de sa tribu. Il faut savoir gré à l’auteur de ne pas laisser passer l’occasion de citer Clermont-Tonnerre (p. 26) : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation ; il faut tout leur accorder comme individus ; il faut qu’ils soient citoyens ». A juste titre, C.K. souligne le caractère profondément libérateur de cette formule en ce « qu’elle proclame un devoir d’aveuglement qui suppose l’évacuation théorique de l’appartenance » ; elle ne recule pas à en fournir l’explicite conséquence : le droit et le devoir de s’aveugler aux Juifs comme nation auraient, sous Vichy, fait beaucoup de résistants. De Vichy à nos jours la conséquence est bonne : la citoyenneté est incompatible avec l’appartenance communautaire en ce que celle-ci ne saurait ni fonder celle-là, ni contribuer, à quelque titre que ce soit, à son institution.
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Une bienfaisante inactualité

Citons enfin la bienfaisante inactualité des vues sur l’école : sa seule fin est d’instruire - ô Instruction Publique, et non Education Nationale ! C.K. commentant Condorcet permet de mesurer le sens des dénominations dévolues aux Ministères. Il est désormais bien nécessaire de rappeler une évidence : instruire n’est pas « informer », parce que l’instruction n’est rien moins que la « cultura animi ». Il faut donc être tombé bien bas pour croire que l’instruction ne serait pas, en elle-même et par elle-même, éducation. En expliquant pour quelles raisons l’instruction publique ne peut qu’être laïque, C.K. fait nettement apercevoir au moins deux points majeurs : d’abord, que le suspens à l’égard des fois et croyances, fait, a contrario, obligation d’enseigner ce qui est enseignable ! Or, les goûts et les couleurs, options et opinions ne le sont pas. Seul ce qui relève de la raison et de l’expérience mérite droit de cité dans l’enceinte d’une classe. Du coup, l’auteur n’a nullement tort de voir dans l’école une institution philosophique (et nullement un « appareil idéologique d’Etat » ainsi que Althusser la nommait ). « Les élèves présents à l’école ne sont pas des libertés constituées... mais des libertés en voie de constitution. L’école est une institution productrice de la liberté : on n’y vient pas pour consommer, ni même pour jouir de son droit mais pour s’autoconstituer comme sujet . » (p. 55).
Par là, la voie est ouverte pour dire beaucoup plus qu’un mot à propos de la récente trouvaille qui consiste, en France, à introduire l’enseignement du « fait religieux ». Alors que les humanités, lesquelles n’excluent nullement la « formation de l’esprit scientifique », « font de l’exotisme un principe d’enseignement » (p. 64) « en mettant chaque esprit », par sa confrontation avec la singularité des oeuvres, « en demeure de rompre avec lui-même et de se constituer sur le deuil de ses certitudes familières », le fait religieux, quant à lui, n’a plus rien à voir avec des œuvres, mais seulement avec des phénomènes sociaux. La bien pensante justification de cette novation pédagogique renvoie à une conviction venue de la sociologie de Dürkheim en particulier : l’universalité empirique du phénomène religieux attesterait que c’est le « lien social » qui, partout, est sacralisé - et ne peut pas ne pas l’être croit-on. C.K. voit à juste titre dans cette sacralisation « la forme même du religieux » qui serait ainsi insufflée, à l’abri de l’abstention à l’égard de tout contenu dogmatique, textuel ou non. Aussi peut-elle vigoureusement écrire (p. 67) : « ..il deviendra bientôt impensable qu’une cité puisse avoir pour fondement autre chose que la sacralisation d’un lien, autre chose que des « valeurs communes »...La figure classique du théologico-politique, subreption du politique par la religion, est surclassée, dépassée par sa projection formaliste et totale : la subreption du politique par le religieux. »


Trois questions

Terminons par une triple interrogation.

1° La conviction centrale selon laquelle le lien politique est suspensif du lien social ne signifie-t-elle pas clairement le rejet de la démocratie au profit de la république ? Le terme « république » figure certes dans cet essai, mais n’est- ce pas la seule configuration qui mérite le titre d’ « association politique » ? Sans diaboliser la démocratie pour en faire la dictature de l’opinion, il appert nettement de la lecture de C.K. que la conjonction aléatoire de groupes sociaux dissout le « lien politique ».

2° Mais alors c’est la question du lien proprement républicain qui nous semble devenir problématique. Voici pour quelle raison : la démarche régressive qui remonte à la fondation transcendantale de la laïcité (seul mode possible de coexistence des libertés), découvre un sujet abstrait, qui est le sujet de droit. Or, ce dernier porte, si on peut dire, une double casquette en ce qu’il est à la fois, sinon le citoyen pourvu de ses devoirs et droits formels, en tout cas, sa matrice. Mais il est aussi le pur sujet pensant. N’y a-t-il pas là une sorte de court circuit entre un trajet régressif effectué, et un autre qui demeure implicite ? en d’autres termes, un court-circuit entre manifestation extérieure de la liberté de pensée et liberté propre de la pensée elle-même ? N’est-ce pas cette double casquette qui autorise le parallélisme, à notre sens tout à fait central dans l’économie de cet essai, auquel s’adonne C.K. p. 49 ? en écrivant que « de même que le peuple (souverain) livré à lui-même n’a pas d’autre instance que ses propres lumières pour conserver sa liberté », de même, « pour éviter l’erreur, n’avons-nous rien d’autre que nos pensées ».

3° Mais, en ce cas, n’est-ce pas à une double déliaison que nous assistons ? Pour accéder à la citoyenneté, condition du peuple souverain, il faut mettre hors circuit toute appartenance empirique ; inversement, la puissance publique ne garantit la libre coexistence des individus qu’en instituant pour chacun, le droit de n’être que lui-même. C’est la référence aux classes paradoxales (telles qu’exposées par J.C. Milner) qui étaie cette vue minimaliste du « lien politique » (pp. 41-42) : sa fonction revient, en somme, à permettre à chaque singularité que tous les autres lui « fichent la paix » avec leur possible bien-aimée communauté de ceci ou de cela ! Avouons que ce n’est, certes, pas rien, et qu’en toutes les circonstances de la vie extérieure, le péril n’est pas si éloigné, même dans notre présente « démocratie républicaine ».
Il nous semble voir là bien davantage que le cercle propre à la liberté extérieure : il faut de libres sujets de droit pour que la puissance publique, le peuple souverain, institue et garantisse les droits - tandis qu’inversement, il ne saurait y avoir de citoyenneté là où les droits, les libertés publiques, ne sont pas institués et garantis. Cela veut nettement dire qu’aucun « salut » n’est à escompter de la meilleure des configurations politiques : elle ne peut qu’être la moins mauvaise ! Le minimalisme revient à affirmer qu’on ne peut, au mieux, qu’espérer ne pas être broyé et empêché d’accéder par ses propres voies à l’autonomie. Ce qui serait platonicien, si l’école publique n’avait pas le rôle majeur de susciter la constitution des individualités en sujet. Ne faudrait-il pas, dès lors, pouvoir distinguer entre niveau proprement politique de la loi commune, et niveau civil ? Est-ce envisageable en étant installé dans l’atomisme ?
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Comment le promeneur solitaire est-il possible ?

Quoi qu’il en soit, la hantise du « conglomérat-gros-animal » suscite un mouvement de bascule en direction radicalement opposée, d’où l’insistance sur les figures finalement équivalentes du « démon » et du « promeneur solitaire ». Ce qui nous conduit à conclure par une invitation à méditer l’original détour par Rousseau que l’auteur effectue (pp. 35 à 40).
Quant à nous, il nous semble que l’instauration continuée, c’est à dire la réactivation continuée par laquelle la volonté de chacun se métamorphose, selon Rousseau, en volonté générale, suppose les adjuvants esthétiques et moraux des fêtes, de la religion civile, et, parallèlement, de l’éducation négative. La difficulté, sans doute attestée par l’inachèvement du Contrat Social ne tient-elle pas au refus rousseauiste de la représentation ? Récusant la voie de Hobbes, d’un représentant instituant le représenté, Rousseau n’est-il pas contraint de superposer « social » et « politique » ? La difficulté qui consiste à tenir ensemble l’atomisme avec les métaphores totalisantes du « corps » civil ou social, paraît aggravée par la conviction rousseauiste que tout intérêt particulier de groupes particuliers, à quelque niveau de réalité qu’ils se situent, serait, à soi seul, ruine du corps civil. C.K. n’a sans doute pas tort de trouver en Rousseau de quoi effectuer le passage du moment transcendantal à sa continuation sous les espèces de l’éducation de l’homme et du citoyen, mais, contrairement à cet auteur, il ne nous paraît pas paradoxal de voir Rousseau jouer, de multiples façons, un moment « rationnel-émotionnel » (les fêtes, la religion civile) dans la mesure où ce philosophe assied la formation de la raison sur les passions, et réciproquement.

Acceptons volontiers la métamorphose que C.K. fait subir à l’individu anté-politique, anté-social, ce bestiau errant dont Rousseau fait l’épouvantable portrait dans le Second Discours, en le transformant en « promeneur solitaire » ; ce sera là rendre hommage à la délicieuse défense du « droit d’être comme ne sont pas les autres », qui anime ardemment ce travail d’élaboration philosophique de la question Qu’est-ce que la laïcité ?
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Edith Bottineau-Fuchs, 2007
(1) Edith Bottineau-Fuchs est professeur de philosophie (en classes terminales, hypokhagne et khagne). et enseignante bénévole : à « l’Ecole à l’Hôpital » - occasionnellement à la prison de Fresnes.
Du même auteur sur ce blog : Violences dans les établissements scolaires ; D'un prétendu "droit au respect"

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